T'avais seulement un an de plus que moi mais ça me semblait un monde. T'avais 18 ans. L'âge de la liberté. T'étais maintenant légal, enfin presque. On s'était connu randomly. De l'ami, d'un ami, d'un ami. Plus ou moins. On était maintenant amis, sans plus, mais c'était déjà beaucoup.T'aimais pas Harry Potter, encore moins Paolo Nutini pis ça me faisait chier. J'aurais voulu qu'on ait les mêmes goûts, mais bon, c'était pas le cas. Au moins, tu jouais du piano, ça compensait.
J'avais souvent la tête pleine; d'académie et de soucis. J'allais alors chez toi, une heure ou deux et tu me jouais «Emmenez-moi». On commençait à chanter ensemble, et je pouvais pas m'empêcher de danser dans ton salon qui semblait toujours ensoleillé.T'allais me chercher un verre de limonade, ça sentait l'été, même en plein mois de février. On mettait le film C.R.A.Z.Y. en musique de fond, on s'asseoyait et on parlait. Souvent de la même chose. Je te racontais ma petite vie, mes hommes trops souvent absents. Et tu me parlais aussi de tes hommes. Parce que t'étais gay.
Ça faisait pas longtemps que je le savais. J'aurais pu dire que je m'en doutais, que tes chandails ajustés, tes cheveux biens mis pis ton intérêt pour la mode m'avaient fait deviner, mais c'était pas vrai. Ça m'avait fait un choc quand tu me l'avais dit, mais j'avais pas pu m'empêcher de crier: « J'ai un meilleur ami gay comme dans les films! ». On avait ri, en sachant très bien que c'était simple comme ça entre nous. Reste qu'après, on avait pleuré; le moment s'y prêtait pis ça faisait toujours du bien.
Tu m'avais parlé d'un certain Guillaume un jour. Il avait les yeux en croissants de lune et la bouche comme une infinité, paraissait. Il t'avais surtout briser le coeur. Je t'avais parlé d'un gars aux ailes papillons. Il ne volait plus. Tu m'avais dit que la vie c'était une pute.Et c'était la dernière fois qu'on se voyait.
Après, les événements s'étaient enchaînés comme dans un film qui va trop vite. On s'était pas vu pendant une semaine, les deux on étaient assez occupés. Mais on s'était promis que le samedi suivant, on irait voir Rwilight ensemble. J'avais hâte.
C'est ma mère qui me l'avait appris. J'étais revenue samedi, de travailler et je m'en allais t'appeller quand elle m'a dit que ça serait pas nécessaire. T'avais fait le pire, ce qui devait te sonner comme le mieux. J'étais partie, en courant, jusque chez toi. Comme si cette course contre la réalité allait te faire revenir. Il y avait plein de monde dans ton salon, trop de monde. Ça me faisait mal de voir tous ces gens en sachant que cette maison était vide, vide de sens, vide de vie. Ta soeur m'avait vu, on s'était prises dans les bras et on s'était pas quitté. Je l'avais toujours bien aimé ta grande soeur, mais ce jour là, ça dépassait l'amour. À un moment, elle m'a donné un mot, un tout petit bout de papier. J'avais vite reconnu ton écriture et cette drôle de manie de mettre des x sur les i, au lieu des points. T'avais pas écrit un roman, t'avais toujours su ménager tes mots pour ne laisser sortir que les plus puissants. Et ils frappaient forts ce jour là. Je me rappelle encore exactement de ce que tu avais écrit. Je crois bien que ça me suivra pour le reste de mes jours:
«C'était trop. Je suis désolé.» Sans signature ni rien, comme si tu n'affirmais pas ton geste, comme si c'était quelqu'un d'autre qui l'avait fait.
Ça fait maintenant un mois aujourd'hui que tu n'es plus. Ça fait un mois que j'écoute «Emmenez-moi», sur repeat et que je ne peux pas m'empêcher de pleurer. Ça fait un mois que je passe devant les affiches du film Twilight et que je crache dessus. Ça fait un mois que, sans arrêt, je cherche à savoir ce que voulait dire ton mot.
Et je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable. De pas avoir vu la détresse dans tes yeux, de pas avoir été plus là, de pas t'avoir dit je t'aime assez souvent, d'avoir été chiante, d'avoir rit de ton grain de beauté dans le milieu de ta paume. À ton enterrement, j'aurais voulu leur dire un roman sur toi, pour leur montrer à quel point t'étais génial, mais ils le savaient tous déjà. Je me suis donc contentée d'un «je t'aime». Pour la première fois dans ma vie, j'avais appris à peser mes mots. Je l'avais dit la gorge nouée, mais tu savais que c'était énorme.
Ça fait un mois. Je ne comprends toujours pas. On me repette qu'il n'y a rien à comprendre mais moi j'y crois pas.
Ça fait un mois. T'es toujours dans mon coeur, je suis loin de t'avoir oublié, vraiment. J'essaie de me dire que c'est ça le plus important. Que tu sois encore là, vivant ici et là.
Emmenez-moi au bout de la Terre. Emmenez-moi au pays des merveilles.
Parce qu'il n'y a pas d'autre place pour toi que le pays des merveilles. Crois moi.
mercredi 17 décembre 2008
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4 commentaires:
Ma fille a perdu un ami gay, son meilleur ami. Un accident bête, elle a pleuré puis, pour se remettre, elle a apprit qu'elle avait un cancer au sein droit....
La vie est vraiment chiante des fois....
mais on s'en sort ! Aujourd'hui, ma fille a un nouveau chum !.
Garamond
Ton texte m'a particulièrement touchée, tirée des larmes serait plus juste. Je te souhaite de ne jamais l'oublier.xxx
Wow. Sincèrement, wow. Quel beau texte. Je me sens interpelé puisque j'ai plusieurs amis gays et c'est une réalité qui est bien présente ; la difficulté de vivre avec ça.
J'ai toujours eu peur qu'un accident comme ça arrive et je tremblerai toujours en y pensant.
Je viens de découvrir ce blogue et j'y reviendrai assurément.
Je pleure.
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